Archéologie navale - Max Guérout, de Valparaiso à Tromelin
Le Mauricien, 27 avril 2009
Max Guérout séjourne actuellement à Maurice, à l'invitation de l'ambassade de France, pour donner deux conférences, sur la mémoire de l'esclavage, aux côtés de Yann von Arnim et Jocelyn Chan Low. Depuis 2004, cet ancien officier de marine dirige les recherches sur les esclaves oubliés de Tromelin, projet qu'il a proposé à l'Unesco dans le cadre de la Route de l'esclave. Portrait.
Max Guérout a officié pendant trente ans dans la marine militaire. Il n'apprécie guère qu'on le désigne par son ancien grade et que toute sa vie soit ainsi marquée par un titre qui n'en concerne en fait qu'une partie… La première fois qu'il est venu dans l'océan Indien, c'était sur la Jeanne d'Arc. Plongeur dans la marine dès le début, il a fait l'école de guerre, ou école d'État-major.
Après avoir dirigé des vaisseaux de surface, il obtient un jour le commandement pour deux ans d'un bâtiment d'intervention sous-marine, le Triton basé à Toulon. " C'est un bateau extraordinaire, nous explique-t-il, qui mettait en œuvre un petit sous-marin qui plongeait jusqu'à six cents mètres de profondeur, et qui disposait d'une petite tourelle de plongée avec un centre hyperbare. Nous avons évidemment trouvé des épaves grâce à ce sous-marin… "
Curieux de nature, Max Guérout a voulu en savoir plus sur ces épaves, explorant un autre type de site, les archives, les bibliothèques et autres antres de papier. Un ami cinéaste lui a parlé un jour d'une épave à Port Crau, qui a en quelque sorte lancé ses activités dans l'archéologie navale.
En 1982, il crée le GRAN, ou Groupe de recherche en archéologie navale, qui occupera ses heures perdues, tant ses vacances que ses diverses permissions. Puis, proposition lui est faite un jour de fouiller l'épave de l'Alabama, le plus célèbre bateau sudiste de la guerre de sécession, qui a coulé environ soixante-cinq bateaux nordistes de commerce en deux ans. Il a lui-même sombré au cours d'un duel au large de Cherbourg, en France. " Là, je me suis rendu compte qu'il serait difficile de prendre en charge ce genre de chantier en continuant d'être officier de marine. Dès que j'ai eu le grade qui me donnait une retraite me permettant de survivre, j'ai pris ma retraite de l'armée pour me consacrer entièrement à l'archéologie sous-marine, à partir de 1985 ".
Théodore Monod et le Sénégal
Il s'est intéressé à l'esclavage et à la traite il y a environ 21 ans, alors que Théodore Monod commençait des recherches au Sénégal. Il l'a rencontré et ils ont monté, " en raclant les fonds de tiroirs ", deux campagnes de prospection à Gorée. Ils ont alors trouvé un ex-négrier, mais ont dû arrêter faute de financement. Entre-temps, Max Guérout a été missionné à la Martinique pour rechercher des épaves de négriers, une mission qui a duré dix ans, avec l'apport d'un archéologue salarié. Il a également été sollicité pour les premières opérations des Anneaux de la Mémoire, dans la ville de Nantes.
" D'une certaine manière je réunissais les trois sommets du "triangle", puisque je travaillais au Sénégal, à la Martinique et à Nantes. Ensuite, quand le projet de la Route de l'esclave a vu le jour, Doudou Diène m'a demandé de faire partie du comité scientifique, dont je suis sorti il y a deux ou trois ans, quand les effectifs en ont été réduits ".
En 2003, le DG de l'Unesco demande aux membres du comité scientifique de proposer un projet dans l'océan Indien qui entreraient dans le cadre de l'année 2004 pour la commémoration de la lutte contre l'esclavage. " Peu après, alors que je faisais de la prospection à Valparaiso, j'ai reçu le mail d'un météorologue qui séjournait régulièrement sur Tromelin. Il s'était passionné pour l'épave de L'Utile, cherchant désespérément des archéologues intéressés à se pencher dessus. J'ai alors proposé à l'Unesco de porter son attention sur Tromelin, son naufrage et les esclaves oubliés… "
Max Guérout a conduit depuis 1985 de nombreuses campagnes d'archéologie navale. La Lomellina est l'épave la plus importante qu'il ait explorée. Retrouvée à Villefranche, son nom fait référence à la famille gênoise des Lomellini. Plus de cinq mille plongées ont été effectuées pour ce bateau de la Renaissance dont la structure était très bien conservée.
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Recherche et souveraineté…
Vijaya Teelock avait été contactée par Max Guérout au début de ses recherches : " Max Guérout nous avait demandé de participer au projet, mais le ministère des Affaires étrangères nous avait conseillé de ne pas le faire parce que Tromelin est sujet à litige entre la France et Maurice. Cette île fait partie de l'histoire mauricienne et était considérée comme une partie de Maurice ! Cela devrait faire avancer le cas de Maurice. Maintenant, la question se pose de savoir si Yann von Arnim est allé là-bas avec l'aval du même gouvernement qui nous avait empêchés de le faire avant. Je pense que les artefacts devraient être retournés à Maurice et que l'Unesco aurait dû financer des études mauriciennes comme ils ont fait pour la France ".
L'historien Jocelyn Chan Low dit souscrire au projet académique mais estime qu'y collaborer pose problème car cela consiste à accepter l'idée que la France y soit souveraine.
Max Guérout considère, quant à lui, que l'enjeu dépasse cette question. " Dès le début, j'ai souhaité la collaboration de chercheurs mauriciens, nous explique-t-il. Avec les hésitations et les lenteurs, personne n'avait été désigné pour la campagne de 2006. Connaissant Yann von Arnim, je lui ai demandé de venir. En 2008, nous avons eu sa visite en fin de campagne. C'était l'aboutissement de longues négociations pour la mise sur pied d'une coopération avec Maurice. J'aimerais pour la prochaine campagne, en 2010, que d'autres chercheurs mauriciens se joignent à lui ".
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Parution - Tromelin : roman palpitant d'Irène Frain
Un premier projet d'édition, autour de l'aventure des naufragés rescapés de l'Utile, a été confié à la maison Michel Lafon qui, elle, a sollicité l'écrivain Irène Frain pour l'écriture d'un roman - Les naufragés de l'île Tromelin - qui, avoue-t-elle, l'a passionnée.
Irène Frain a ajouté ses propres recherches à celles de Max Guérout, pour donner chair à la demi-douzaine de personnages qu'elle a choisis dans cette histoire, leur donnant le caractère le plus plausible possible, et reconstituant leur aventure au fil de neuf chapitres. Max Guérout signe la postface de ce livre, dans laquelle il retrace l'essentiel des découvertes que les fouilles archéologiques ont révélées jusqu'alors, et restituant les différentes étapes de recherche, ainsi que les nombreuses personnes et organisations qui y ont contribué.
Irène Frain a dédié ce livre à la mémoire des naufragés de L'Utile, " et en hommage particulier à la soixantaine de femmes et d'hommes qui furent abandonnés sur l'île Tromelin ". Dans son avant-propos, elle évoque deux documents d'époque, anonymes : " L'étude des deux textes prouvait qu'ils (leurs auteurs) avaient bien vécu ce qu'ils racontaient, un effarant huis clos sur une île, en des temps rigoureusement ignorants des liaisons satellites, balises argos et autre GPS. "
Irène Frain rappelle aussi que cette histoire a inspiré Condorcet dans sa lutte pour l'abolition de l'esclavage qui a pris effet en 1794. Son avant-propos est largement dédié à Max Guréout qu'elle qualifie avec humour de "tromelinologue". " Avec le chirurgien de bord et l'écrivain, c'est lui, le troisième témoin clé des crimes qui se sont perpétrés à Tromelin. " Les protagonistes qu'elle a vu surgir et auxquels elle donne vie sont le négrier fou ; le premier lieutenant féru de l'esprit des Lumières ; le chirurgien de bord fin observateur des âmes et des corps ; l'écrivain, cynique au départ puis rongé de remords, jusqu'à la jeune Semiavou, version française du prénom malgache Tsimiavo, mère du petit garçon qui sera baptisé Jacques Moïse lorsqu'il touchera le sol mauricien.
Ce roman est disponible à la médiathèque du Centre Culturel Charles Baudelaire. Notons, par ailleurs, qu'un projet de documentaire de Thierry Ragobert, un spécialiste des films d'archéologie, est également en cours, ainsi qu'une bande dessinée.
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