Saturday, 9 May 2020

Géopolitique : ce qu’on peut espérer des autorités mauriciennes pour la présente décennie

Source : Business Magazine, No. 1431 du 18 mars 2020 au 24 mars 2020 (Île Maurice)






By Shafick Osman
(docteur en géopolitique, Paris-Sorbonne,
et chercheur associé, Florida International University, Miami)


Disons-le d’emblée : il n’y a pas grand espoir que les positions géopolitiques de la République de Maurice changent dans les années à venir, voire dans cette nouvelle décennie du calendrier grégorien. Maurice est, de nature, conservatrice et change rarement dans ses postures géopolitiques, à quelques exceptions près. Pourtant, l’économie mauricienne a connu des transformations les plus profondes depuis l’Indépendance, la société même a connu des mutations les plus importantes mais au niveau politique – à part la parenthèse de 1982 – et de surcroît, géopolitique, pas grand-chose a changé depuis 1968, si ce n’est l’avènement de la République, en 1992, l’ouverture flagrante envers l’Arabie saoudite depuis 2015 et la reconnaissance par la cour internationale de justice et de l’Assemblée générale des Nations unies, de la souveraineté entière de Maurice sur les Chagos, en 2019.

GÉOPOLITIQUE INTERNE

Le rapport entre l’île principale de la République que la Constitution de Maurice décrit comme Island of Mauritius (que nous traduisons par île Maurice) et les autres territoires de la République est à repenser. Repenser pour une participation bien plus active, un rapport bien plus fécond entre l’île Maurice et les territoires constitutionnels mauriciens que sont Rodrigues, Agalega, l’archipel des Chagos, St Brandon (Cargados Carajos) et Tromelin. L’intellectuel et journaliste mauricien Joël Toussaint propose, depuis mars 2011, un concept d’État-fédéral où les différents territoires de la République auraient une autonomie maximale avec, surtout, un rapport égalitaire. Un drapeau fédéral mauricien a même été proposé récemment sur Facebook !

Repenser la République, c’est aussi fédérer les peuples et résidents et/ou natifs de l’île Maurice, de Rodrigues, d’Agalega, des Chagos et de St Brandon – il n’y a aucun habitant de nos jours sur Tromelin – autour d’un projet commun, d’une destinée commune. Si Rodrigues bénéficie certes d’une autonomie quelconque depuis 2002 via la Rodrigues Regional Assembly, les autres territoires de la République de Maurice sont contrôlés directement par le gouvernement central sauf pour les Chagos et Tromelin, où les contentieux sur la souveraineté mauricienne restent entiers malgré la reconnaissance claire de la souveraineté mauricienne sur les Chagos, en 2019, par la cour internationale de justice et par l’Assemblée générale des Nations unies. Agalega aurait dû avoir une certaine autonomie aussi avec la création de l’Agalega Island Council, en 2004, mais le conseil n’a jamais réellement fonctionné et il n’a pas bénéficié non plus, il est vrai, d’un fort soutien politique du gouvernement central.

La représentation des territoires de la République est aussi une problématique pas très répandue parmi les classes politique et intellectuelle mauriciennes. La dominance de l’Island of Mauritius, un héritage colonial datant des Britanniques, est flagrante au Parlement : 60 sièges sur 62 (20 circonscriptions sur 21), à l’Assemblée nationale mauricienne, reviennent à l’île Maurice ; Rodrigues a droit, elle, à deux sièges seulement avec une circonscription alors que la norme, pour l’île Maurice, est de trois sièges par circonscription. Pire, Agalega est représentée depuis l’an 2000 seulement et cela avec une incorporation dans la circonscription No. 3, Port-Louis Est - Port-Louis Maritime. Résultat : il n’y a pas eu et il n’y a jamais eu de député agaléen pour représenter Agalega depuis 20 ans maintenant et même Shakeel Mohamed, député de la circonscription depuis 2010, a avoué, en juillet dernier, au Parlement, que les députés du No. 3 n’arrivent pas à s’occuper de leurs mandants, à Agalega, faute de visites et de moyens logistiques adéquats !

ST BRANDON ET AGALÉGA

Les quelque 25 résidents de St Brandon, dont beaucoup y séjournent la plupart de l’année, ne peuvent voter sur place et il n’y a aucune représentation des 28 îlots de Cargados Carajos au sein de l’Assemblée nationale mauricienne ! Le gouvernement MSM-ML a bien voulu rajouter les Chagos à une circonscription existante, en juillet 2019 – chose que nous avions dénoncée, à l’époque, demandant plutôt une circonscription à part entière pour les Chagos – mais force est de constater qu’aux élections du 7 novembre dernier, les Chagos n’avaient toujours pas de représentation malgré le vote unanime de l’Assemblée nationale mauricienne, le 12 juillet 2019, pour l’intégration des Chagos dans une circonscription existante. Et on n’a point entendu l’Electoral Boundaries Commission sur ce sujet depuis. Nous étions les premiers à demander, en 2009, une circonscription à part entière pour Agalega et donc, un député agaléen pour Agalega.

Nous étions également les premiers, en 2014, dans le sillage du White Paper du Premier ministre Navin Ramgoolam, sur les réformes électorales, à demander qu’il y ait un député des Chagos au Parlement mauricien, en sus d’un député pour la diaspora mauricienne à l’étranger. Et nous avions même demandé qu’il y ait une nouvelle circonscription Agalega-St Brandon qui permettrait aussi la représentation de Cargados Carajos, à l’Assemblée nationale mauricienne.

Nous étions les premiers à demander, en 2009, une circonscription à part entière pour Agalega et donc, un député agaléen pour Agalega
Nous étions également les premiers, en 2014, dans le sillage du White Paper du Premier ministre Navin Ramgoolam, sur les réformes électorales, à demander qu’il y ait un député des Chagos au Parlement mauricien

Quant à Tromelin, il devrait, lui aussi, avoir une représentation mais Paul Bérenger, leader de l’Opposition, en 2009, avait déjà proposé cette inclusion de Tromelin, St Brandon et des Chagos mais dans une circonscription existante, lors d’une Private Notice Question, le 21 novembre 2009, au Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam, qui avait déclaré qu’il allait présenter une motion, dans ce sens, à l’Assemblée nationale, mais qui n’a jamais été présentée par la suite.

S’agissant d’Agalega et de St Brandon, il est inconcevable – on avait écrit cela en 2014 – que l’Outer Islands Development Corporation (OIDC), structure parapublique dépassée mais qui gère toujours ces deux territoires de la République, devrait céder la place à un statut plus officiel, plus étatique et moins dénigrant – il n’y a pas de présence administrative de l’État mauricien à St Brandon – pour ces deux territoires riches en superficie maritime et en ressources halieutiques. Notre proposition de l’équivalent d’un préfet (un commissaire ?) pour Agalega et St Brandon tient bon et, à notre avis, il faut une nouvelle législation pour combler le vide sur la souveraineté de l’État mauricien sur l’ensemble des îlots de St Brandon dont la moitié est la propriété du privé, sous la forme d’un bail à perpétuité, octroyée, en 1901, par l’administration coloniale. Lequel bail pourrait être octroyé à la même société qui détient aujourd’hui les droits, Raphaël Fishing Company Limited, sous forme d’un bail à durée limitée cependant.

GÉOPOLITIQUE EXTERNE

La politique étrangère de Maurice ainsi que ses rapports de force avec les puissances et blocs étrangers ne devraient pas changer au cours des dix prochaines années. Hormis quelques bifurcations à l’Est, et dans le camp socialiste, au temps de la Guerre froide, Maurice n’a jamais vraiment changé de politique étrangère depuis son indépendance même si certains rapports de force ont changé, au fil des décennies, s’agissant surtout du Royaume-Uni (écart), de la France (rapprochement) et de l’Inde (rapprochement important).

Maurice doit traduire, à nouveau, sa devise de ‘l’étoile et la clé de la Mer des Indes’ en réalité. Déjà très présente au sein de nombre d’organisations régionales et internationales et porteuse de nombreux hubs dans la région, Maurice doit travailler en vue d’une fusion, à moyen terme, de la Commission de l’océan Indien (COI) et de l’Indian Ocean Rim Association (IORA). Les sièges de ces deux organisations se trouvent à Maurice et le pays est un des membres fondateurs de ces deux organisations indianocéaniques. La France demande un statut d’observateur au sein de l’IORA, ce qui est plutôt bon signe pour un rapprochement entre la COI et l’IORA. La résistance pourrait venir de l’Union européenne, qui finance la majorité des projets de la COI, avec la France, en appui. Comme tous les États membres de la COI, à part la France, sont membres de l’IORA, il ne fait plus de sens d’avoir deux associations différentes pour le bien commun du bassin océan Indien.

Les relations avec l’Inde, la France, l’Union européenne, la Chine et les États-Unis ne devraient connaître aucun changement majeur de même qu’avec les blocs régionaux africains (SADC, Comesa, Union africaine). Un changement notable cependant qui n’est pas passé inaperçu ces dernières années : l’ouverture vers l’Arabie saoudite depuis 2015 ! Un changement de politique notable de la part des autorités mauriciennes qui renforce du coup ses relations avec les Émirats arabes unis, particulièrement, au détriment des adversaires du royaume saoudien tels que l’Iran et le Qatar, surtout.

SAHARA OCCIDENTAL, MAYOTTE, TROMELIN

Il est difficile à prédire si Maurice continuera à jouer, à fond, la carte saoudienne mais le positionnement neutre de Maurice – pour s’aligner sur sa devise, ‘ami de tout le monde et ennemi de personne’ – devrait prévaloir au niveau du monde arabo-musulman, surtout dans les pays du Golfe. Mais ce positionnement de Maurice conforte les États-Unis et aussi, l’Inde, devenue depuis peu proche tant des Émiratis que des Saoudiens. Reste à savoir si Port-Louis va finalement agréer à la mise sur pied d’une ambassade turque à Maurice, au vu des échanges en hausse avec la Turquie. Seul problème dans le monde arabe, pour Maurice, reste la question du Sahara occidental que Maurice reconnaît depuis le gouvernement de 1982 mais qui empêche des relations ‘normales’ avec le Royaume du Maroc, qui ne reconnaît pas la souveraineté du Sahara occidental. Avec plus d’un millier de Marocains sur le sol mauricien depuis quelques années, le Maroc essaye de faire une percée, au niveau diplomatique, à Maurice, mais sans grand succès jusqu’ici. Maurice pourra-t-elle, avec ses partenaires de la SADC, par exemple, faire pression sur le Maroc pour que le royaume chérifien accepte la tenue d’un referendum, au Sahara occidental, pour l’autodétermination, comme recommandé par les Nations unies ?

Concernant Mayotte, Maurice joue la carte apaisée. La République mauricienne ne reconnaît pas Mayotte comme un territoire français – et encore moins, comme un département de France – mais elle ne le fait pas savoir très souvent. Elle ménage bien sûr ses relations avec la France mais Maurice peut très bien, fort de son expérience à l’Assemblée générale des Nations unies et à la cour internationale de justice, aider le frère comorien à ‘récupérer’ Mayotte que les Nations unies ne reconnaissent pas comme un territoire français, tout comme la Ligue arabe et l’Union africaine, entre autres. Le succès de Maurice, à New York et à La Haye, devrait aussi lui permettre d’aider l’autre frère malgache, au niveau international, sur leur revendication des Îles Eparses (Juan de Nova, Europe, Bassas da India, îles Glorieuses) tout en proposant ses services de médiateur pour résoudre le contentieux malgacho-comorien sur les îles Glorieuses, notamment sur le banc de Geyser .

Le succès de Maurice, à New York et à La Haye, devrait aussi lui permettre d’aider l’autre frère malgache, au niveau international, sur leur revendication des Îles Eparses (Juan de Nova, Europe, Bassas da India, îles Glorieuses) tout en proposant ses services de médiateur pour résoudre le contentieux malgacho-comorien sur les îles Glorieuses, notamment sur le banc de Geyser

Quant à Tromelin, que Madagascar ne revendique plus depuis la fin des années 70 grâce à Paul Bérenger, Maurice devra choisir sa voie pour donner suite à la non-réalisation du projet de cogestion de l’îlot signé par la France et Maurice (où il n’était nullement question de souveraineté mais de cogestion scientifique, environnementale/ ressources halieutiques et archéologiques), en 2010, mais qui n’a jamais été ratifié par l’Assemblée nationale, en France, comme veut la législation française.

Deux fois retiré de l’agenda de l’Assemblée nationale française depuis 2010, il n’y a plus grand espoir que la cogestion de Tromelin devienne une réalité. Que fera Maurice ? Aller à l’Assemblée générale des Nations unies, comme ce fut le cas pour les Chagos et, éventuellement, à la cour internationale de justice encore une fois ou trouver une solution, à l’amiable, avec le pays ‘ami’ qu’est la France ? Quant à nous, depuis notre thèse de doctorat sur la géopolitique de la République de Maurice, en 2013, nous optons pour une solution de co-souveraineté calquée sur le modèle du condominium des Nouvelles-Hébrides entre la France et le Royaume-Uni.




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