Le Matinal, 16 février 2007
Rama Sithanen (Source : Le Matinal, 16 février 2007) |
Le show Sithanen (par Villen Anganan et Magali Frédéric)
Villen Anganan, Magali Frédéric
Port-Louis, 15 février
C'est d'un véritable show que le mi-nistre des Finances, Rama Sithanen, a gratifié la population jeudi. Démisionnera, démissionnera pas ? C'est finalement une démission déguisée à laquelle a eu droit la population, une tempête dans un verre d'eau? Sithanen aura, en tout cas, bien joué son rôle de manipulateur de l'opinion et exercé une pression politique sur qui de droit.
Il est parvenu à jongler entre son "désaccord" avec la nomination de Bheenick et son "amitié" pour le Premier ministre, pour maintenir le suspense et s'assurer d'une reprise digne de son poste de vice-Premier ministre et ministre des Finances. Une démarche dont personne n'est dupe et dont le pays aurait bien pu se passer.
Le Grand argentier aura réussi l'exploit de tenir le pays et la presse en otage pendant toute une journée. Tôt jeudi matin, il a brandi sa lettre de démission qu'il a soumise avant midi au Premier ministre par intérim, Rashid Beebeejaun. Toutefois, il a cru bon de ne pas présenter la lettre au président de la République pour officialiser sa démarche. Il a préféré attendre le retour du Premier ministre de Cannes la semaine prochaine pour discuter de toute la question avant de prendre une décision finale. Ce qui fait de lui actuellement un ministre en sursis.
Les journalistes, en grand nombre à 15 heures pour connaître le "move" final de Sithanen, sont restés sur leur faim. Accompagné de la vieille garde travailliste, soit les ministres James Burty David, Abu Twalib Kasenally et Arvin Boolell - ce qui n'a pas manqué d'étonner l'assistance - Sithanen n'a pris en tout et pour tout que six minutes pour affirmer qu'il ne mettra pas à exécution sa démission. Ajoutant que par amitié pour le Premier mi-nistre, il acceptait sa proposition de le rencontrer la semaine prochaine.
"Ma décision n'est pas un coup de tête. Elle a été prise après réflexion", a-t-il dit. Et d'insister, comme l'ex-ministre français, Jean-Pierre Chevènement, que si un ministre n'est pas d'accord, soit il se tait, soit il claque la porte.
Le ministre a confirmé qu'il n'approuve pas la nomination de Rundheersingh Bheenick comme gouverneur de la Banque de Maurice et la procédure suivie. Toutefois, il a dit comprendre que cette décision relève des prérogatives du Premier ministre et qu'à ce titre, il respecte son choix.
Fait intéressant, Rama Sithanen, d'habitude très en verve lors de ses conférences de presse, a tout fait pour esquiver les questions des journalistes.
Plus technocrate que politique (par Sunil Gopal)
Sunil Gopal
Port-Louis, 15 février
Au centre de l'actualité depuis jeudi, Rama Sithanen demeure pour le commun des mortels un homme qui jongle avec les chiffres. Le budget qu'il a présenté en 2006 a fait de lui la bête noire de bon nombre de ses propres collègues ministres.
L'opposition, en particulier le leader du Mouvement socialiste militant (MSM), Pravind Jugnauth, ne se fait pas prier pour le critiquer sévèrement à chacune de ses sorties politiques. Le leader du Mouvement militant mauricien (MMM), Paul Bérenger, par contre souffle le chaud et le froid quand il s'agit de parler de Sithanen. Pour preuve, le leader mauve d'habitude très bavard dans ce genre de circonstances a demandé à la presse de patienter jusqu'à samedi pour une déclaration.
Alors que la population est abasourdie par les mesures qu'il annonce dans son budget, Sithanen reçoit le soutien inconditionnel du Premier ministre Navin Ramgoolam. Un quotidien fait de lui l'homme de l'année. Ses adversaires, qui ont pris l'habitude de le qualifier de l'homme du secteur privé, se donnent à coeur joie.
Mais d'où est venu cet homme qui est de nouveau projeté sous les feux de l'actualité ? Sithanen n'a jamais renié son passé. Il l'arbore même avec fierté. Il a souvent évoqué avec passion son enfance difficile et sa lutte pour se hisser à la place qu'il occupe. On raconte qu'après la révocation de Vishnu Lutchmeenaraidoo du gouvernement de sir Anerood Jugnauth, le "bonhomme" était intervenu personnellement auprès des employeurs de Sithanen pour qu'il puisse avoir un "release". Le Premier ministre d'alors avait grand besoin d'un économiste qui pourrait prendre en main la destinée économique du pays. Détenteur d'une licence ainsi que d'une maîtrise en économie, il avait le profil idéal pour le Premier ministre d'alors. C'est ainsi que Rama Sithanen fait son entrée politique, par la grande porte.
Aux élections générales de 1991, il est candidat MSM dans la circonscription n°18 (Belle-Rose/ Quatre-Bornes) et il obtient une honorable deuxième place. Comme promis, il est nommé ministre des Finances et conserve son poste jusqu'aux élections générales de 1995.
Battu cette fois, il dirige la commission économique du MSM et est particulièrement virulent envers Navin Ramgoolam et Manou Bheenick dans ses articles de presse axés sur l'économie. Pour des raisons jusqu'ici inconnues, il se brouille avec son mentor, sir Anerood Jugnauth, et claque la porte. Sheila Bappoo le suit et ensemble ils fondent le Rassemblement pour la Réforme qui ne fera pas long feu.
Longtemps considéré comme un technocrate et très peu "politicien", Rama Sithanen prend sa revanche en adhérant au Parti travailliste. Son amitié avec Navin Ramgoolam fait des envieux et certains au Labour ne lui feront pas de cadeau.
Elu en tête de liste dans la circonscription n°18, il retrouve les Finances après exactement dix ans, mais cette fois-ci avec le titre de vice-Premier ministre. Son budget novateur et en rupture avec les précédents exercices prouvera une fois de plus la passion de l'homme pour l'économie aux dépens de la politique.
Que deviendra le 'Inner Circle' ?
Le Matinal News Service
Port-Louis, 15 février
Les membres du 'inner circle' de Rama Sithanen sont dans l'attente depuis l'annonce de la démission de celui-ci. Ces proches de l'ex-ministre des Finances, placés à des postes de responsabilité depuis l'avènement de l'Alliance sociale au pouvoir en juillet 2005, sont dans leurs petits souliers et craignent le pire pour la suite de leur carrière maintenant que leur gourou projette d'abandonner le navire gouvernemental.
Parmi la garde rapprochée de Sithanen, ceux qui se font du mauvais sang à l'heure actuelle sont, entre autres, Ali Mansoor, son plus proche conseiller qui a quitté son poste à la Banque mondiale pour apporter son soutien à Rama Sithanen en tant que secrétaire financier. Ali Mansoor est venu compléter une équipe déjà rodée à l'exercice budgétaire composée de Radha Chellapermal et Patrick Yip, les spécialistes financiers. Benoo Servansingh a également été recruté comme son conseiller politique.
Depuis juillet 2005, Rama Sithanen a graduellement mis en place son réseau, composé essentiellement de ceux qui ont soutenu sa campagne pour les législatives 2005. On se souviendra ainsi, lors de la proclamation des résultats à la SSS Sodnac dans la circonscription n°18 (Belle-Rose/Quatre-Bornes), avoir vu jubiler plusieurs proches de Sithanen, en attendant "leur boute" sans doute. Parmi, figuraient en bonne place Shakeel Dyall, Gilbert Gnany, Sen Ramsamy, Rajah Ramdaursingh et Rajiv Servansingh. Tous ont été récompensés pour leurs efforts. Shakeel Dyall a été nommé Executive Director de Mauritius Duty Free Paradise. Gilbert Gnany, un temps pressenti pour être le numéro deux de la Banque centrale, a décroché la présidence du Central Statistical Advisory Board. Sen Ramsamy a eu moins de chance ; ayant décroché un poste à Enterprise Mauritius, il n'a pu s'y faire. Rajah Ramdaursingh figure également parmi les malchanceux. Pressenti à un moment pour le poste de gouverneur de la Banque de Maurice et bénéficiant de la caution Sithanen, il s'est finalement fait croiffer au poteau par Manou Bheenick.
En revanche, les efforts de Rajiv Servansingh ont payé puisqu'il a bénéficié d'un poste très convoité, celui de représentant du Board of Investment en Inde. D'autres membres du "inner circle" de Sithanen ont également été récompensés, à l'instar d'Eric Ng, ardent défenseur de Rama Sithanen, qui se retrouve à la présidence de la First City Bank.
Shaffick Osman, ex-attaché de presse de Kadress Pillay, pendant le premier gouvernement de Ramgoolam fils (1995-2000), ancien journaliste, a su jouer de ses connexions puisqu'il est aujourd'hui à la tête des Editions de l'océan Indien (EOI), compagnie opérant sous l'ombrelle de la SIC. Il était bien entendu partie prenante de la cellule de communication du candidat Sithanen aux dernières législatives.
L'ex-directeur de campagne de Rama Sithanen, Raju Jaddoo, fils de l'ex-ministre Ramdath Jaddoo et ancien consultant chez DCDM, a été nommé directeur du Board of Investment. Un autre activiste de Rama Sithanen et ex-député, Iqbal Mallam-Hassam, dirige aujourd'hui la destinée de la State Investment Corporation. Le nouveau patron a toutefois la chance de pouvoir compter sur le soutien du Premier ministre, Navin Ramgoolam, qui a aussi un droit de regard sur cette institution financière.
Shaffick Osman, ex-attaché de presse de Kadress Pillay, pendant le premier gouvernement de Ramgoolam fils (1995-2000), ancien journaliste, a su jouer de ses connexions puisqu'il est aujourd'hui à la tête des Editions de l'océan Indien (EOI), compagnie opérant sous l'ombrelle de la SIC. Il était bien entendu partie prenante de la cellule de communication du candidat Sithanen aux dernières législatives. Shyam Seeburn, directeur de l'Institute of Marketing, a lui aussi été récompensé. Il est consultant à temps partiel chez EOI et siège au conseil d'administration de la Banque de Maurice. A la Mauritius Housing Corporation, un ancien fonctionnaire proche de Rama Sithanen a été nommé directeur. Il s'agit de Rajen Seetohul.
MMM : " Pas de commentaire"
Les consignes données lors de la réunion du bureau politique du MMM de ne pas faire de déclaration à la presse concernant la démission de Rama Sithanen ont été rigoureusement respectées. On a été référé au leader des mauves, Paul Bérenger, par tous ceux qu'on a contactés jeudi pour une déclaration. Sollicité par Le Matinal pour une réaction à la démission de Rama Sithanen, Paul Bérenger devait dire : "Pas de déclaration jusqu'à notre conférence de presse de samedi à 10 heures".
Chronique d'une démission
Si des mesures préconisées dans son dernier budget ont été remises en cause, il n'en demeure pas moins que Rama Sithanen comptait beaucoup sur le soutien de ses collègues pour l'aider dans leur application. Et c'est justement ce manque de solidarité exprimé par diverses formes de résistance au sein même de l'Alliance sociale qui l'exaspérait.
L'abolition du "School Feeding Project", la révision des "social aids", la résistance organisée face à la "National Residential Property Tax", la fermeture de la DWC et du garage de la police, l'enlèvement des subsides sur le riz et la farine et, plus récemment, la remise en cause du paiement par l'Etat des frais des examens du SC et du HSC sont autant de mesures faisant partie de sa réforme que des députés de l'AS n'ont pas soutenues sur le terrain, faisant ainsi de lui la cible impopulaire d'une partie de l'électorat frustré.
Déjà en décembre 2006, le chef du gouvernement était très conscient du "problème" Rama Sithanen. Tant et si bien qu'il avait, lors d'une réunion informelle avec les membres de l'exécutif rouge à Clarisse House, soulevé la question. Le leader rouge avait bien fait comprendre à ses partisans qu'il n'était pas question de reculer devant les mesures budgétaires de son ministre des Finances, ce qui avait conforté Rama Sithanen. Du moins pour quelque temps encore.
Affront personnel
Mais le départ à la retraite de Ramesh Basant Roi a ramené sur le tapis certaines rancoeurs. Rama Sithanen aurait voulu que ce soit Rajah Ramdaursingh, ou une tête pensante du secteur privé et totalement apolitique, qui soit nommé gouverneur de la Banque de Maurice. Le chef du gouvernement, lui, penchait plutôt pour Manou Bheenick. La nomination du gouverneur de la BoM, mercredi, a été le catalyseur de la "démission" de Rama Sithanen. Ce dernier, dit-on, aurait pris cette nomination comme un "affront personnel".
"On se demande bien pourquoi? Sithanen) a eu les coudées franches pour nommer qui il veut au sein de plusieurs institutions. Pour-quoi le PM n'aurait-il pas le droit d'en faire autant ?", lance un membre de l'exécutif rouge. D'autant, ajoute-t-il, que Manou Bheenick a peut-être été un piètre politicien mais on ne peut lui reprocher d'avoir été un mauvais technicien.
Sithanen absent à une réunion de ses activistes
Le Matinal News Service
Port-Louis, 15 février
Rama Sithanen a brillé par son absence à une réunion des activistes de sa circonscription qui a eu lieu jeudi après-midi à Belle-Rose. On a appris qu'après s'être entretenu avec le Premier ministre par intérim, Rashid Beebeejaun, et ses collègues ministres, Rama Sithanen aurait décidé de ne pas faire de sortie politique. Selon ses proches collaborateurs, toute déclaration publique aurait causé préjudice à l'accord entre le Premier ministre et lui même. La vingtaine d'activistes réunis à Belle-Rose ont affirmé que le ministre Sithanen n'a pu faire le déplacement, étant épuisé par les événements du jour. Ils ont profité de l'occasion pour réitérer leur soutien au ministre démissionnaire qu'ils ont qualifié "d'honnête envers le pays et lui-même". Ils ont souligné les efforts déployés par le ministre pour redresser l'économie et en particulier, le secteur des petites et moyennes entreprises. Ils ont toutefois avoué ignorer les raisons véritables qui ont motivé sa démission. Aucun parlementaire de l'AS n'y était présent.
"Instabilité au sommet de l'Etat"
Pour Pravind Jugnauth, l'épisode de Rama Sithanen vient confirmer le fait que le pays est entré dans une période de grande instabilité au plus haut sommet de l'Etat. "C'est un gouvernement fragile miné par des dissensions et de la frustration venant de l'intérieur. Cet événement confirme que le gouvernement mène le pays vers la catastrophe", a-t-il avancé. Il devait ouvrir une parenthèse pour situer la position de son parti. "Le MSM reste pareil. Nou solidement ancré dans l'opposition et nou pou continuer jouer nou rôle dans Parlement ek lor terrain pou defanne l'intérêt de la population", a-t-il maintenu.
A une question du Matinal, Pravind Jugnauth a qualifié la nomination de Rundheersingh Bheenick au poste de gouverneur de la Banque de Maurice de "scandaleux". "Mo appranne qui so nomination pas finne entériné par le conseil des ministres et si tel est le cas li bien grave. Manou Bheenick finne desaprouvé par Ramgoolam li-même dans le passé et sa même dimoune pé nommé. Mo ti attanne ki pou mette ène professionnel qui konne le système monétaire."
Un ministre en instance... de démission
Prem Gungabissoon, agent travailliste, présent devant l'hôtel du gouvernement, faisait partie de ceux qui pensaient que Rama Sithanen n'allait pas les laisser tomber. "Nou finne lutté pou li, pas pou li allé après. Nou finne lutté pou li vinne ministre pou li travay dan circonscription. Nou faire ène appel au Premier ministre Navin Ramgoolam pou ki li redresse la situation. Bizin éna dialogue pou expliqué lor ki grounds li pé rode aller. Mo penser li pas pé allé", a laissé échapper cet activiste rouge inconditionnel de Rama Sithanen.
Entre-temps, le bureau de ce dernier était devenu une véritable ruche. Sa colistière au n°18, le député Neeta Deerpalsing, Raj Ringadoo, président de la DBM, et d'autres amis et symphatisants de Sithanen se sont rendus à son bureau pour lui parler. Certains ont tenté de le faire revenir sur sa décision, a-t-on appris. Ali Mansoor, le Financial Secretary et ami personnel de Sithanen, a également été aperçu au bureau de ce dernier.
Les conciliabules au bureau du Premier ministre suppléant Rashid Beebeejaun ne sont pas passées inaperçues non plus. On aura vu de nombreux ministres s'y rendre pour tenter de dissuader leur ancien collègue. Parmi, on relève Xavier-Luc Duval, Madan Dulloo, Rama Valayden et Arvin Boolell.
La conférence de presse de Sithanen a été le point culminant de cette folle journée. Une trentaine de journalistes ont envahi la salle de conférence du ministère des Finances et une quinzaine de photographes étaient aux aguets devant la porte de son bureau. Dès qu'il est apparu, il a été mitraillé par les photographes. Le visage défait et esquissant à peine un sourire, il a lancé une boutade en pénétrant dans la salle et se rendant compte du nombre important de journalistes et de photographes : "Couma dire budget". La presse devait toutefois rester sur sa faim. Le point de presse a duré seulement huit minutes, de 15h02 à 15h10. Pïre, Sithanen devait refuser de répondre aux questions. Une fois la rencontre terminée, plusieurs ministres lui ont de nouveau rendu visite jusqu'à son départ de l'hôtel du gouvernement vers les 15h45. Deux questions hantent la presse : Rama Sithanen s'est-il rendu à la réunion hebdomadaire du conseil des ministres de ce jeudi ? Pourquoi a-t-il remis sa lettre de démission au Premier ministre suppléant au lieu de le faire parvenir au président de la République comme l'exige la Constitution ? A la mi-journée, la State House n'avait pas encore été mise en présence d'une copie de la fameuse lettre dont le contenu demeure aussi un mystère.
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